Tristesse d’Hélène

Luca Giordano - Abduction of Helen

« Rappelez-vous Hélène de Sparte. C’était une horrible Grecque, pourrie de vanité et de snobisme.
Mais croyez-vous qu’elle ait été heureuse ?
Vous vous doutez bien que non. La satisfaction de se répéter, à chaque minute de la journée : « Je suis belle. Je suis la plus belle des femmes ! » engendre une lugubre monotonie, même lorsque, pour la varier un peu, le bruit public vous apprend que, par milliers, des héros de Grèce et d’Asie sont morts pour vous.
De deux choses l’une, en effet : ou bien c’était une brave fille, au fond, et tous ces désastres devaient la peiner ; ou bien, comme j’ai tout lieu de le croire, elle avait le coeur sec, et par conséquent pas assez d’imagination pour y trouver quelque plaisir.
Hélène, à Troie comme à Sparte, s’ennuyait à périr.
Fut-elle du moins heureuse avec Pâris ? Rien de moins certain. Pâris, une fois satisfaite sa passion, une fois comblé ce désir du rapt qui veille au fond du coeur de tout homme, se blasa et devint, peu à peu embourgeoisé, une manière de second Ménélas. Peut-être la trahit-il. Bref, la fille de Tyndare, reprise enfin par son époux, mourut très vieille, n’ayant eu, au milieu du vaste calme plat de ses jours qu’un tout petit orage de passion et de bonheur, ni plus ni moins que la plus insignifiante de ses chambrières. Sans compter qu’il y a quelque chose de très vexant, pour une personne riche, bien élevée, de haute naissance, pour une grande dame enfin, à mener cette existence de captive perpétuelle, pourchassée par les uns, sollicitée par les autres, sans jamais goûter un instant de liberté.
(…)
Axiome : il n’y a que les laides que l’on laisse un peu tranquilles. »

Francis de Miomandre, Eloge de la laideur


Illustration : Luca Giordanon, L’enlèvement d’Hélène, dérobée à G a b i

3 commentaires
  1. il n’y a que les laides qu’on laisse « un peu » tranquilles, quel programme ;o)

    • Et encore…
      je trouve que les belles d’aujourd’hui sont souvent les moches d’hier… et ça, c’est encourageant !

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